Affinités électives : Directeur photo - chef électricien, une nouvelle approche

1ère partie : entretien avec Darius Khondji et Franck Barrault

Darius Khondji : On a fait beaucoup de longs métrages ensemble, avec Franck, mais sur Chéri, il y a exactement un an, c’est la première fois qu’il était chef électricien sur un long avec moi. On s’était connu dès 1986, avant Delicatessen ! Il commençait tout juste, et j’étais encore assistant. Il a été électricien avec Bernard Gemähling, puis je suis parti faire des films à droite à gauche pendant longtemps, hors de France. Un jour, j’ai retrouvé Franck sur un film publicitaire, il a été formidable, et dès que j’ai eu l’occasion de faire un film avec lui, je l’ai fait...

Il connaissait mon travail depuis le début, donc il était familier avec cette façon de travailler, que je commençais à développer. Lui-même avait développé un œil particulier à cette nouvelle génération de chefs électriciens ; même aux Etats- Unis je ne trouvais pas ça, ni chez les Anglais, un œil différent sur la lumière, avec des propositions techniques plus modernes, plus adaptées au cinéma, aux images d’aujourd’hui, une façon de travailler agressive, en avant des choses, en parlant très peu, pas du tout comme l’ancienne école des chefs électriciens, très intègre, en prenant les choses en mains comme un gaffer américain ou anglais. C’est surprenant !... Franck est en avant de cette nouvelle école de chefs électriciens français, qui a quelque chose de plus concis, je ne sais pas comment dire...

Hélène de Roux [à Franck Barrault] : Vous vous reconnaissez dans ces mots-là ?

Franck Barrault : Nouvelle école, je ne serais pas allé jusque là... Mais oui, sûrement, dans un sens de partenariat, et aussi, parce qu’il y a une nouvelle école d’opérateurs : c’est faisable parce que Darius le permet, il a envie de ça. Certains opérateurs plus âgés ont plus de mal à déléguer, ils veulent garder la création pour eux, et ne pas partager. C’est une volonté de Darius et d’autres opérateurs, d’essayer de profiter de l’expérience, de mon goût, et c‘est plus intéressant.

H. R. : [à Darius Khondji] Vous avez dit que Franck connaissait déjà votre manière de travailler, et qu’il a un œil...

D. K. : Franck m’a vu débuter sur mes premiers courts métrages et films publicitaires, il a suivi les différents chefs avec qui je travaillais, et je leur demandais à chaque fois de le prendre en tant que stagiaire, comme ça il a suivi deux, trois chefs, Aïssa Lahoucine, Sadi Boualam, Bernard Gemähling, Patrick Bois...

H. R. : Vous l’avez fait couver soigneusement dès le début !

D. K. : Je croyais beaucoup en lui dès le début, mais on s’est perdus de vue après, quand je suis parti travailler à l’étranger, c’est drôle... J’ai travaillé aux Etats-Unis à partir de 1995, en Italie, en Argentine, un peu partout. Je ne faisais qu’une ou deux pubs de temps en temps en France. Après je suis revenu pour le film de Polanski (La Neuvième porte), avec un chef électro formidable, Jean-Claude Lebras. C’était une toute autre école. Je ne sais pas à quel stade tu en étais à ce moment-là, en 1997-98...

F. B. : Je commençais comme chef, mais je n’étais pas au niveau pour faire ce film, il faut faire ses classes...

H. R. : C’est quoi vos classes, à vous ? Votre parcours ?...

F. B. : J’ai fait une école d’audiovisuel à Toulouse, puis je suis monté à Paris, et j’ai rencontré Darius, par l’entremise d’une amie avec qui il faisait des films Super 8 quand ils avaient douze ans... A l’école, la lumière m’a tout de suite interpellé, c’est ce que je faisais dans les films d’école, la matière me plaisait. En arrivant, j’ai commencé sur des courts et des pubs avec Darius, et sur Delicatessen.

H. R. : Comment se forme-t-on au début, comment se fait-on « un œil », comme disait Darius ? Que peut-on synthétiser, quand on regarde travailler quelqu’un ?