Masculin, Féminin et Anna

1ère partie — Masculin féminin

Éric Gautier : Comment as-tu rencontré Jean-Luc Godard ?

Willy Kurant : J’étais en train de tourner mon premier long métrage avec Agnès Varda à Noirmoutier, en Scope et en noir et blanc, quand une silhouette relativement célèbre dotée d’un nez garni d’une paire de lunettes noires s’est montrée sur le tournage. Était-il venu voir le tournage des Créatures ou était-il venu me voir moi, je ne sais pas. À l’époque, son directeur de production à Parc Films était Philippe Dussard, qui était aussi celui d’Agnès Varda. J’ose penser qu’il avait certainement dû voir mes rushes en noir et blanc, et qu’il était venu sur le tournage pour voir comment Agnès et moi nous travaillions.

EG : C’est peut-être Agnès aussi qui lui a parlé de toi, ils se connaissaient bien...

WK : Peut-être la production a-t-elle poussé à ce moment là, mais je pense que ça venait surtout d’une certaine curiosité. Je lui ai très peu parlé, voire pas du tout, je crois, quand il est venu nous voir. Quand je suis rentré à Paris, Dussard m’a demandé si j’étais disponible pour faire le film de Jean-Luc Godard. J’étais absolument disponible. Je l’ai vu à la production d’Anatole Dauman, rue des Dames Augustines. Il m’a expliqué qu’il voulait tourner le film en Ilford, parce que c’est avec cette pellicule qu’il avait tourné tous ses films. Je lui réponds : « Oui, l’Ilford, c’est formidable, mais je viens de découvrir une pellicule chez Kodak, c’est la 4 X ». J’avais déjà travaillé avec cette pellicule : au lieu de la développer à un gamma qui devait être à 0,67 à l’époque, je la faisais développer à 0,90, pour éliminer les gris et garder des noirs et des blancs plus contrastés. La pellicule, qui faisait 500 ASA développée normalement, ainsi sur développée augmentait sa sensibilité vers les 650-800 ASA, selon la façon dont je l’exposais. Pour l’extérieur j’utilisais de la Double X. Il m’a dit : « Ah bon, je pense que l’Ilford est meilleure, mais tenez, prenez deux bobines de 4 X et allez tourner des essais dans Paris. » Je ne sais plus si Jean-Pierre Léaud était déjà avec moi pour ces essais. J’ai fait des choses à l’épaule, des passages de métro, etc. Il a vu les rushes, il ne m’a fait aucun autre commentaire que : « Très bien, nous tournons en 4 X. »